Oui, ENFIN ! car il fut un été fait de contradictions volontaires : une situation politique catastrophique par la volonté d’un seul et une liesse populaire montrée à l’envi dans tous les médias, avec des superlatifs pour bien faire comprendre à ceux qui ne partageaient pas ces moments « inoubliables, merveilleux, extraordinaires, inclusifs, sublimes, … » qu’ils étaient hors du cadre de cet évènement que sont les jeux olympiques et paralympiques. Et si certains ne partageaient pas cet engouement, ils étaient considérés comme des vieux réfractaires, des conservateurs, des pisse-froid, bref, pas dans l’air du temps.

 

On peut aimer les jeux, les athlètes et leurs performances, voire le plaisir exprimé par les français de cette « communion », mais on peut détester l’utilisation politique et médiatique qui en est faite : on ne met en avant que cet évènement pour permettre que les conséquences des résultats d’élections soient reportées à plus tard et faire un choix qui va à l’encontre du peuple français.

Et pendant ce temps, rien n’avance, tout est bloqué, les lois sont en suspension (voire prêtes à ne pas être étudiées), les ministres font leur office en étant « démissionnaires » et les médias nous gavent d’images de champions, de France glorieuse et victorieuse alors même que le pouvoir en place a été totalement remis en cause et qu’il ne tient pas compte de ce que les français ont exprimé.

On pourrait penser que ce président s’inspire de l’Empire Romain durant lequel le poète satirique latin Juvénal disait que pour gouverner, il fallait donner au peuple « Panem et circenses » (« pain et Jeux »). Le peuple pouvait manger et s’amuser, on maintenait une Paix sociale en le mettant hors du jeu politique.

On pourrait s’arrêter là et après un tel constat se dire qu’il n’y a plus qu’une solution : tout balancer, tout rejeter.

Mais voilà, nous pensons que, plus que jamais, nous devons œuvrer pour trouver des solutions alternatives et ceux qui pensent qu’une autre société est possible, au regard des résultats électoraux, doivent continuer de se mettre en route pour faire des propositions, pour tenter de construire une autre manière de faire de la politique, en particulier en matière économique et sociale.

Et dans ce contexte, on peut noter la vivacité de l’ESS, mais aussi ce sentiment qu’elle serait une possibilité pour l’avenir.

Si nous restons sur le versant politique du climat actuel, on peut noter combien les acteurs de l’ESS pourraient jouer un rôle dans l’évolution de notre pays :

  • L’une des composantes du Nouveau Front Populaire, propose Jérôme Saddier comme candidat au poste de Premier Ministre, après les élections législatives. Cette proposition a fait long feu car, comme l’indique le Nouvel Obs, « les insoumis (ont) aussitôt écarté cette option. La raison, selon un des négociateurs du PS … : “ un homme blanc de 50 ans, hétéro, socialiste et qui plus est banquier, ça ne passait pas ». Que dire de cette appréciation qui ne soit pas polémique. Simplement que ce qui est oublié dans cette réflexion, ce sont les qualités de l’homme, ses engagements et particulièrement dans l’ESS, avec une constante de défense de la dimension politique de ce qu’est l’ESS. Il ne se cantonne jamais à la seule économie, il sait toujours la ramener dans ce qu’elle est : une autre manière de concevoir la vie. Et c’est cela qui en faisait un candidat sérieux et juste pour représenter le Nouveau Front Populaire.
  • Dans le même ordre d’idée, le choix, à un moment, fut pour le président de la République, de solliciter le président du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) comme Premier Ministre putatif. Au-delà de ce que représente Thierry Beaudet au titre de la société civile et les qualités indéniable qu’il sait développer au sein du CESE, c’est bien un acteur essentiel de l’ESS, porteur des valeurs mutualistes, engagé dans de nombreuses causes, qui aurait pu faire vivre les valeurs de l’ESS par son action. Bien entendu, ne soyons pas dupe, il y aurait eu un encadrement qui ne lui aurait pas permis d’exprimer pleinement ce qu’il défend, mais interprétons cela comme un signe que les acteurs de l’ESS, en tant que personnes, mais aussi en tant que représentants d’une autre manière de faire de l’économie, du social, de la politique sont aujourd’hui à même de porter un projet de gouvernement fort et différent.

D’autres choix ont été fait, déniant la volonté de changement du peuple. Cela n’empêche pas l’ESS de poursuivre son chemin et d’exprimer pleinement sa volonté d’une autre société, tout en sachant s’adapter au contexte dans lequel nous vivons. Cela montre le poids de plus en plus fort de la société civile et particulièrement de l’ESS, mais surtout sa capacité à transformer la société, par l’éducation des citoyens (retour en force de l’éducation populaire) et par leur action au sein des structures de l’ESS.

Jérôme Saddier, alors président d’ESS France disait, à ce propos dans une interview (« L’ESS est un levier pour recréer du collectif dans la société »[1]LA CROIX – 14/09/2023 : « Nous avons besoin de démontrer que l’ESS est profondément transformatrice de la société. Elle l’a été tout au long de notre histoire sociale et économique. Beaucoup de ce qui fait notre environnement quotidien résulte de l’action non pas de l’État, mais de citoyens qui ont décidé de s’unir pour prendre en charge des besoins qui apparaissaient,….

L’ESS est un levier pour recréer du collectif dans la société. Notre façon de fonctionner, qui a parfois ses défauts, prouve qu’il est possible d’articuler l’intérêt général avec l’efficacité économique, sans se soumettre exagérément à la pression de la rentabilité financière. Nous l’avons démontré par le passé, nous pourrions le faire sur de nouveaux enjeux. »

Voilà le sens de notre engagement : respecter nos valeurs et concourir à l’intérêt général. C’est d’ailleurs ce que rappelait ESS France dans son plaidoyer lors des dernières élections : « nous portons des solutions concrètes d’alternatives positives qui font la preuve de la capacité de nos organisations à intégrer, insérer et répondre aux urgences sociales, climatiques et territoriales. »

Lors de sa première déclaration après sa nomination en tant que premier ministre, Michel Barnier a dit vouloir travailler avec les bénévoles ! Nous devrions nous en réjouir car cela pourrait représenter une véritable reconnaissance de l’action quotidienne, opiniâtre, efficace de citoyens engagés dans des causes et exerçant leurs compétences dans des secteurs ou des territoires dans lesquels des besoins criants ne sont pas couverts. « L’ESS fonctionne à l’énergie citoyenne, elle est attachée à la liberté d’action qui lui a permis d’innover…. »[2]J. Saddier – LA CROIX : https://www.la-croix.com/debat/Jerome-Saddier-LESS-levier-recreer-collectif-societe-2023-09-14-1201282740

Oui, mais voilà, restons sur nos gardes tant que nous ne savons pas comment il envisage de le faire.

Les bénévoles sont, aujourd’hui, de plus en plus sollicités et le coup de projecteur qu’ont été les Jeux Olympiques sur les 45.000 bénévoles, sans qui ils n’aurait pas pu se dérouler, donne des idées sur l’exploitation que l’on peut faire des bonnes volontés.

Déjà lors des JO, l’investissement représentait un coût pour ceux qui y participaient en tant que bénévole (nourris, mais pas logés, accueillis à leur arrivée mais pas de prise en charge des déplacements). Tu es bénévole, tu consacres ton temps et tu paies pour le faire. On a trouvé la pierre philosophale de l’exploitation libérale, on devrait donner cette autorisation à toutes les entreprises : travailler et demander à ceux qui triment de payer pour le faire !

Cet exemple ne remet pas en cause la question du bénévolat qui est une des pierres de la cohésion sociale, du maintien du lien dans les territoires. Être bénévole, c’est agir avec les autres, c’est faire preuve d’altruisme pour, dans un domaine ou un territoire, permettre la rencontre et l’action commune.

Les initiatives pour la reconnaissance sont multiples et nombre de nos concitoyens s’y consacrent. Mais la déclaration du premier ministre, si elle s’inscrivait dans cette logique de soutien au bénévolat, dans la défense des causes humaines, sociales, écologiques, … ne pourrait être déconnectée de la dimension financière de ces investissements : les bénévoles travaillent gratuitement mais leur action demande des financements des politiques publiques et du mécénat pour se mettre en place.

Sans prêter de mauvaises intentions à une telle déclaration, il y a fort à parier, dans un contexte de restriction budgétaire dans tous les domaines, que cette proposition ressorte plus de la volonté d’exploiter les bénévoles que de construire ensemble des réponses adaptées aux personnes et aux territoires.

Le 18 septembre, lors de sa conférence de presse de rentrée sociale, l’Uniopss a fait part de son inquiétude quant aux politiques mises en place dans le secteur sanitaires, social et médico-social, appelant à renouer avec la « fiabilité de la parole publique » et dénonçant les discours non suivis par des actes, entrainant des effets catastrophiques pour les associations et les publics accompagnés : « Toutes les associations ne meurent pas mais toutes sont touchées » dit Daniel Goldberg, lors de son intervention, ajoutant : « À l’heure où de nombreuses associations qui agissent au quotidien se débattent dans des situations économiques insolubles, il faut retrouver les moyens d’une décision publique solide et durable ».

Il déplore la situation d’ »apesanteur politique » dans laquelle se trouve la France depuis plusieurs mois et la dégradation des finances publiques. Estimant que « tous les discours sur la maîtrise des finances publiques seront entendables s’ils sont assortis des moyens d’éviter une nouvelle dislocation sociale », le président de l’Uniopss demande au prochain gouvernement d’éviter l’ »austérité́ dans le champ des solidarités et de la santé« . Mais cette demande pourrait tout aussi bien être émise dans de nombreux autres domaines[3]Localtis – 20 septembre 2024.

Dans ce contexte, le journaliste Victor Castanet montre les dérives des entreprises lucratives du service à la personne au travers des crèches privées lucratives (« Les Ogres »). Et les propos de Benoît Hamon, président d’ESS France éclairent combien d’autres choix pourraient être faits en ce domaine[4]post LinkedIn : https://www.linkedin.com/posts/benoithamon_avec-les-ogres-victor-castanet-livre-activity-7241728729016676352-ZpkX?utm_source=share&utm_medium=member_desktop : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans ces deux affaires (les EHPAD dans l’ouvrage « Les Fossoyeurs » et les crèches dans « Les Ogres ») qui dénoncent les pratiques des entreprises privées lucratives dans le secteur du soin, du handicap, des crèches ou des Ehpad, c’est que les personnes âgées et les enfants y sont considérés comme des coûts. Des coûts, des paramètres, des facteurs qu’il faut optimiser pour dégager le meilleur bénéfice. C’est cette logique intrinsèque à ces modèles lucratifs qu’il faut changer. Et c’est le rôle des pouvoirs publics et du gouvernement de protéger les personnes vulnérables, aînés ou bébés pas de protéger ceux qui les exploitent. Voilà pourquoi, ESS France défend la proposition que le secteur du soin et de l’accompagnement des personnes vulnérables soit réservé aux acteurs publics ou privés NON LUCRATIFS. Si le futur gouvernement veut traiter un chantier urgent qui repose sur un consensus large de la population et de acteurs, en voici un.

Nous sommes prêts avec les acteurs privés non lucratifs, associatifs et mutualistes à engager cette discussion avec les parlementaires, les collectivités et le gouvernement pour partager nos innovations sociales, notre expertise et notre ambition d’améliorer l’accompagnement et le soin des personnes vulnérables. »

Car la vocation des entreprises de l’ESS est bien avant tout de répondre à l’intérêt général et donc de mener des politiques proches de celles que devraient mener l’État, au service des citoyens.

La disparition progressive des liens entre le(les) gouvernement(s) successifs actuel(s) et les organisations de la société civile conduit à une perte de sens et à une volonté des citoyens de s’exprimer directement sous d’autres formes que la négociation ou la recherche du meilleur choix pour tous. Dénier à la fois « la voix du peuple » et refuser de travailler avec les corps intermédiaires, sont autant de risques d’une expression violente ou d’un dégoût profond à l’encontre des responsables et de leur politique.

Les mois à venir vont nous dire ce qu’il en est de la prise en compte des acteurs de l’ESS pour le nouveau gouvernement. Espérons que ces propos soient ceux d’un oiseau de mauvais augure et que, finalement, les politiques publiques soient véritablement au service des citoyens, en lien avec ceux qui sont au plus près des territoires et des préoccupations de ces derniers. Le temps nous le dira, mais il y a urgence à respecter tout le monde !

 

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

En savoir plus : 

Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (septembre 2024)

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